Entretien avec Emmanuel Buisson-Fenet, président de Nouvelles Rives
Pourquoi lancer un laboratoire d’idées consacré aux Métropoles ?
Le projet de lancer un « laboratoire d’idées » consacré aux Métropoles n’est pas nouveau. À vrai dire, j’y pense depuis la naissance de la Métropole de Lyon, cette collectivité unique en France née de la fusion entre l’intercommunalité du Grand Lyon et le Conseil Général du Rhône en 2015. Le projet n’a pas abouti à l’époque, et il a été relancé suite à la campagne métropolitaine de 2020. C’était une première, avec l’élection au suffrage universel des Conseillers Métropolitains, et la campagne a alors laissé une grande frustration chez celles et ceux qui vont fonder Nouvelles Rives quelques mois plus tard. En effet, le débat public n’a jamais complètement réussi à prendre sur l’avenir à long terme de la Métropole. Quel projet collectif peut donner sens à cette nouvelle collectivité, et lui dessiner un horizon à vingt ou trente ans ? En fait, nombre de nos concitoyen-n-es ont découvert en cours de campagne l’existence même de la Métropole, et mieux compris ses compétences ce qui est déjà beaucoup. Mais qui peut dire aujourd’hui « voilà les grandes orientations que pourrait prendre la Métropole d’ici 2040, et voilà le cap politique que je défends » ? L’ambition de Nouvelles Rives, c’est précisément de participer à l’émergence d’un débat éclairé sur l’avenir de la Métropole.
Quand la Métropole a été créée en 2015, un des arguments centraux, c’était de réduire le « mille feuilles » des collectivités territoriales, avec la promesse de simplifier et d’innover. Les enjeux sont immenses, car la Métropole de Lyon réunit de façon inédite les compétences dévolues aux intercommunalités, certaines compétences déléguées par les communes, et celles relevant ailleurs des Conseils Départementaux, comme la gestion des collèges, l’insertion professionnelle, le réseau routier, et l’immense domaine de l’aide sociale… Comme le disent les sociologues américains, la Métropole de Lyon est donc un véritable « laboratoire social » où l’on peut expérimenter des politiques publiques innovantes, des complémentarités entre les différents acteurs locaux que l’on ne peut voir nulle part ailleurs.
Vous croyez vraiment que les citoyen-n-es vont s’intéresser à une collectivité locale, alors qu’ils se déplacent de moins en moins pour voter ?
Les fondateurs de Nouvelles Rives sont au fond persuadés qu’on ne peut pas résoudre la crise de confiance politique aujourd’hui sans redonner du sens au débat politique au plus près des citoyen-n-es, c’est-à-dire dans les territoires. Ce ne sont pas des mots creux : si on ne sait jamais qui fait quoi, si on se perd dans la complexité du partage des compétences entre l’Etat, les administrations publiques et les collectivités locales, comment s’intéresser au débat politique ?
C’est un problème très concret aujourd’hui. Par exemple, qui finance et qui agit au juste contre la pauvreté autour de moi : est-ce l’Etat, la commune, l’intercommunalité, le département, et à Lyon, la Métropole ? Tant qu’on ne peut pas répondre à cette question, tant qu’il n’y a pas de lisibilité sur le lien entre un problème – la pauvreté ou tout autre sujet – l’acteur public qui en a la charge, et les grandes orientations collectives que l’on peut prendre sur cette question, alors il ne faut pas s’étonner que nos contemporains se détournent de la politique.
Si nous avons une ambition, c’est de proposer aux citoyen-nes de la Métropole de prendre le temps de réfléchir collectivement à l’avenir de la Métropole, c’est pour cela que notre association s’intitule « Nouvelles rives – ateliers métropolitains du futur ».
Vous proposez une réflexion sur les Métropoles en général ou bien seulement sur la Métropole de Lyon ?
Très clairement, notre association est née à Lyon, des spécificités de notre Métropole. Mais le phénomène de la métropolisation n’est pas propre à Lyon bien sûr, c’est au contraire un fait social mondial : concentration des activités économiques dans les grandes Métropoles et affaiblissement des villes moyennes, périurbanisation qui conduit à des distances toujours plus grandes entre le lieu de vie et le lieu de travail, enjeux écologiques qui placent au coeur des choix de transport et d’usage des ressources la croissance des population et la relation entre les lieux de production et de consommation, etc.
Nous souhaitons donc contribuer à la réflexion collective sur la métropole lyonnaise, qui est celle que nous habitons, mais de façon très ouverte, en s’intéressant aussi aux autres métropoles en France, en Europe et à l’étranger. En bref, nous ne voulons pas nous enfermer dans un cadre trop étroitement « lyonnais ». Il existe aujourd’hui de très nombreux laboratoires d’idées, selon l’orientation politique ou la thématique qui les intéresse, mais très peu s’ancrent dans un territoire hors de Paris, c’est donc l’une des originalités de Nouvelles Rives. On verra si on peut faire entendre notre voix, dans un débat public qui peine trop souvent à franchir le périphérique parisien.
Est-ce que Nouvelles Rives est l’émanation d’un parti politique ?
Absolument pas ! Mais cela ne signifie pas qu’on vienne de « nulle part ». La plupart des membres de Nouvelles Rives se sont rencontrés lors des campagnes métropolitaine et municipales en 2020, en participant aux listes menées par David Kimelfeld et Georges Képénékian. Cette période a été très riche, elle nous a donné l’occasion de réfléchir collectivement aux enjeux et aux contraintes qui traversent les Métropoles aujourd’hui. Mais elle a été frustrante également, pas tant oserais-je dire du fait des résultats électoraux, que par le sentiment d’avoir vu un élan collectif s’interrompre trop tôt. On veut s’appuyer sur cette énergie, et y associer maintenant toutes celles et ceux qui, en venant d’horizons différents, partagent le désir de pratiquer autrement la réflexion politique, en se fixant un horizon de long terme.
Cette expérience commune nous a permis de constater que nous partagions une même sensibilité progressiste, qui sera un de nos axes de réflexion. Nous ne voulons pas renoncer à un objectif d’amélioration des conditions de vie et du bien-être des habitant-e-s de la Métropole, sur l’autel de la Décroissance. Mais comment concilier cet objectif avec la lutte contre les inégalités territoriales, et avec l’impératif de la transition écologique, qui se joue en priorité sur le plan local aujourd’hui ?
En fait, un laboratoire d’idées ne peut se confondre avec un parti politique. L’association Nouvelles Rives est parfaitement indépendante, elle regroupe des membres qui viennent pour la plupart de la société civile, et s’appuient sur leur expérience professionnelle, associative, ou sur leur expertise pour contribuer aux échanges collectifs. Certains sont membres par ailleurs d’un parti politique, sans qu’il n’y ait de lien privilégié avec l’un ou l’autre, d’autres sont ou ont été élu-e-s locaux, mais nous sommes et resterons une organisation indépendante et ouverte.
Concrètement, comment comptez-vous mobiliser autour d’un projet de « laboratoire d’idées » ?
L’automne dernier, un noyau de membres fondateurs s’est constitué, et a depuis mis en place l’association, ses statuts, ses outils de communication, et plus largement sa stratégie. Les trois confinements successifs ont freiné le lancement, mais nous avons réussi à rassembler progressivement et à lancer plusieurs ateliers pour travailler sur les thématiques qui nous semblent prioritaires aujourd’hui. D’autres suivront car c’est un travail de long terme que nous engageons.
Nous voulons agir à plusieurs niveaux. Les ateliers vont permettre de se retrouver, en sortant enfin des visios de fin de journée qu’on a connues depuis septembre dernier. Nous allons organiser également des événements publics, de façon régulière, pour susciter le débat collectif, en travaillant sur des formats hybrides, qui permettent de favoriser la circulation des idées entre citoyen-n-es engagé-e-s, femmes et hommes politiques, expert-e-s et universitaires. Enfin, on lance une newsletter à laquelle chacun pourra s’abonner, qui permettra, je l’espère, de diffuser largement le produit de notre travail collectif.