L’auteur
Pierre Vermeren est un historien français, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne depuis 2012. Il s’est spécialisé sur le Maghreb et des mondes arabo-berbères. Outre de nombreux ouvrages sur ce thème et celui des liens entre France et Maghreb, il a également publié en 2019 La France qui déclasse. Les Gilets jaunes, une jacquerie au XXIe siècle, puis en 2020 On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation.
L’ouvrage
Avec L’Impasse de la métropolisation (paru chez Gallimard en 2021), Pierre Vermeren signe un livre à charge contre le phénomène de métropolisation, qui a conduit en France à concentrer les activités humaines, les richesses et les classes supérieures dans une douzaine de grandes conurbations. En un mot, Pierre Vermeren veut « déchoir les métropoles de leur piédestal ». Même si on n’en partage pas les conclusions, il propose une thèse intéressante pour discuter du processus de métropolisation, phénomène qui est considéré aujourd’hui comme une tendance de fond par une large partie des économistes et des géographes.
Dans les deux premiers chapitres, l’auteur dénonce les inégalités et les déséquilibres issus de ce processus de concentration, lui-même subséquent à la désindustrialisation et à la tertiarisation de l’économie. « Marée pavillonnaire », spéculation immobilière, vampirisation des services, des infrastructures, des emplois et des richesses, etc. Rien de bien nouveau sous le soleil.
Dans le troisième chapitre, il tente un tableau sociologique et rejette la manière dont ces métropoles, par un phénomène de gentrification, ont « chassé » les catégories populaires vers la banlieue et le monde périurbain afin de mieux accueillir les cadres ainsi que les « nomades » en leur sein (étudiants, touristes, migrants…).
Dans le quatrième et le cinquième chapitres, il évoque les conséquences politiques de la métropolisation et désapprouve les stratégies d’enfermement social des métropoles qui se coupent de leur périphérie (barrières sociales et écologiques) pour devenir des « cocon[s] protecteur[s] (sans voiture et au milieu de forêts imaginaires) » et qui constitueraient un archipel au milieu d’une mer de détresse. Il dresse le constat d’un échec de la République à aménager son territoire de façon équilibrée.
Dans le sixième chapitre, il évoque les coûts et les externalités de la métropolisation, qui concentre l’essentiel des investissements publics pour préserver un « capitalisme bâtisseur », la contagion délétère de ce modèle et son impact néfaste sur le plan énergétique et environnemental.
En conclusion, il « dresse le portrait d’une société fragilisée par sa nouvelle organisation socio-spatio-économique » et propose de « replacer les classes moyennes au centre de la société, et mieux associer les classes populaires au processus de production » et de réfléchir à des « solutions », sans dire lesquelles, « qui pourraient améliorer la répartition des tâches et des fonctions entre les espaces, les classes sociales, les milieux professionnels et les activités économiques » pour « rebâtir un territoire mieux structuré ».
Cet essai relève donc davantage du pamphlet que de l’étude scientifique. L’auteur aligne des phrases choc avec un vrai sens de la formule et reprend à son compte des constats bien établis par plusieurs chercheurs avant lui (politologues, géographes, urbanistes, sociologues…). Toutefois, les références en appui de ses affirmations – qui relèvent parfois davantage de la conviction politique que de l’hypothèse scientifique – et les sources des données avancées font trop souvent défaut.
L’auteur concentre son propos sur une douzaine de métropoles (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Lille, Strasbourg, Nice, Nantes, Rennes, Grenoble et Montpellier), et non, c’est heureux, sur l’ensemble des « métropoles » au sens juridique et administratif du terme, tel qu’établi par la loi Maptam (qui n’ont de « métropole » que le nom…). Malgré tout, une poignée des villes retenues dans son cadrage ne sont – à l’échelle européenne et mondiale – que des agglomérations de la province française de taille respectable dont l’influence ne dépasse pas les frontières régionales, en-dehors de quelques exceptions (Paris en tête, suivie de Lyon, Marseille et, si l’on considère l’ancrage européen, Lille et Strasbourg).
On note par ailleurs que l’auteur commet quelques impairs, en se prenant par exemple les pieds dans le tapis des subtilités institutionnelles de la loi Maptam : il évoque les 19 métropoles de droit commun et les 2 métropoles à statut particulier, mais omet de citer la Métropole de Lyon, collectivité territoriale de plein exercice unique en France (qui n’est plus un EPCI), qui constitue pourtant l’acmé de l’institutionnalisation du modèle métropolitain qu’il dénonce !
On pardonne à l’historien de ne pas maîtriser le domaine du publiciste, du politologue, du sociologue et du géographe, mais on aurait apprécié qu’il aille davantage puiser dans l’abondante littérature scientifique existante sur le sujet des métropoles et de la métropolisation afin d’étayer et d’amender ses propos, parfois bien sentis, souvent caricaturaux. En définitive, il ne semble pas si facile de remettre en cause les raisons profondes du développement des métropoles, qui relève d’un processus complexe et polymorphe.
Étienne
Pierre VERMEREN, L’Impasse de la Métropolisation, Paris, Gallimard, 2021.