La France a perdu des pans entiers de son industrie et des compétences précieuses. Est-il possible de rapatrier des productions délocalisées et de bâtir de nouvelles filières industrielles en France ? ? Qu’en est-il dans la Métropole de Lyon ?
Selon Emmanuel Buisson-Fenet, on peut peut distinguer trois enjeux liés aux relocalisations dans les métropoles aujourd’hui.
D’abord, un enjeu économique de compétitivité : les délocalisations sont la conséquence d’un cycle de mondialisation qui a entrainé, en France, un déficit commercial prononcé depuis le milieu des années 2000, contrairement à certains de nos voisins qui ont su répondre à ces défis. La politique industrielle de relocalisation peut s’appuyer sur les grandes métropoles, où existent des synergies territoriales importantes (relations clients-fournisseurs spécialisés, formations de haut niveau, infrastructures adaptées, etc). Autour Lyon, les cinq pôles de compétitivité en sont un des supports (textile, santé, chimie verte, automobile, industries de l’image animée…)
Le deuxième enjeu est stratégique : après deux crises d’ampleur, celle de la Covid et la guerre en Ukraine, la difficulté à faire face rapidement aux besoins de notre pays et de notre continent pousse à réaliser en Europe les produits stratégiques pour notre sécurité et pour les produits de base dont la population a besoin, cela concernen au premier chef certaines filières bien implantées dans la métropole, comme le secteur pharmaceutique. On a découvert, avec la crise sanitaire, a quel point on été démuni face à des ruptures d’approvisionnement dans des secteurs essentiels.
Un enjeu écologique enfin : relocaliser, c’est indispensable pour réduire l’impact écologique de nombreuses activités, et éviter que les produits, les matériaux et les composants fassent le tour de la planète avant d’arriver auprès des consommateurs.
Pour répondre à ces trois enjeux, il faut s’interroger sur les politiques de relocalisation des entreprises, mais les problèmes soulevés sont complexes et très différents d’une industrie à l’autre, d’où l’idée d’appuyer notre réflexion collective sur trois exemples très différents l’un de l’autre.
Le premier concerne la Pharmacie, présenté par Pascale Malgouyres, consultante dans ce secteur d’activité. Dans la région lyonnaise, l’histoire de la pharmacie est liée à celle de l’industrie chimique, et elle est dominée par trois grands acteurs, Sanofi, Servier et Boehringer. Si les « big pharma » dominent la production et la distribution de médicaments, la dynamique de l’innovation est portée par des start up innovantes, les biotech, qui vendent essentiellement des brevets, mais ne produisent pas généralement elle-mêmes. Le secteur compte prêt de 100 000 personnes en France ; on se situe au 4e rang européen. Avec la mondialisation, la France a perdu l’essentiel de la production de matière première pharmaceutique, mais la donne pourrait changer avec les projets portés par le plan d’investissement du gouvernement, France Relance , qui enregistre 128 projets lauréats dans le domaine de la santé. Des relocalisations sont en cours (un cas pour le paracétamol), avec une dimension « stratégique ». Un autre enjeux fort, c’est le repositionnement de médicaments déjà existants pour le traitement d’autres pathologies que celle prévue à l’origine, ce processus permet de gagner un temps considérable dans la recherche, car le cycle d’émergence d’un nouveau médicament est très long et très coûteux. Il faut également développer la bioproduction, la réalisation de médicaments à partir du vivant, et aussi répondre aux besoins de développer la santé animale, un domaine où la région lyonnaise est bien positionnée.
La Métropole de Lyon a lancé un « fond d’amorçage industriel à fort impact industriel », qui vise à favoriser le retour d’activité, mais les montants alloués, de 80 à 100 millions d’euros sur 12 à 14 ans, sont très réduits par rapport aux enjeux. La Région a lancé en revanche un projet de soutien à l’investissement de 1,2 milliards d’euros sur six ans, il reste à voir comment cela va se traduire concrètement.
Pour le secteur textile et l’habillement, Jérôme Douce, directeur scientifique de l’Institut français du Textile et de l’Habillement (IFTH), nous présente les enjeux des relocalisations dans l’un des secteurs phares du développement industriel et l’histoire de la Métropole… mais en déclin depuis un long moment. Ces industries occupent environ 100 000 salariés à l’échelle nationale, avec une baisse de l’emploi des deux tiers dans les vingt dernières années, et un fort déficit de la balance commerciale aujourd’hui, une grande partie du textile consommé étant importé. La région AURA de façon plus large compte de réels atouts dans le secteur.
Les enjeux ne sont pas seulement économiques, mais aussi écologiques : fabriquer en France, c’est réduire de 50% le bilan carbone de l’habillement. Pour les relocalisations dans le textile, le coût du travail est déterminant, il n’est pas facile de trouver des solutions alternatives aux pays à bas coût, il faut donc aussi compter sur le comportement des consommateurs, le souci d’acheter français et responsable, aussi bien sur le plan environnemental que social. Il faut donc développer des labels et l’information des consommateurs pour favoriser ce changement d’habitudes. Il faut inciter à acheter moins mais acheter mieux, travailler sur la durabilité du vêtement :pour convaincre, en utilisant des matières premières locales (lin, chanvre, voir du coton bio que l’on produit en Aquitaine). On peut montrer aux consommateurs l’impact environnemental de ses choix pour l’inciter à changer ses habitudes.
Un des secteurs où les marges de progrès sont importantes, c’est celui du recyclage, car ces activités ne peuvent pas être délocalisés… mais le recyclage est très complexe techniquement, et c’est un des domaines dans lesquels les politiques d’innovation peuvent apporter des solutions.
Enfin, Etienne Roche, aborde l’enjeu des relocalisations dans le secteur de l’Energie, autour de l’exemple du photovoltaïque, le composant de base des panneaux solaires. L’enjeu ici est aussi bien environnemental que stratégique, car on est devenu très dépendants de la Chine. L’Europe est le second marché au monde pour le photovoltaïque, alors qu’elle ne compte plus aucun fabriquant dans le top 10 mondial (8 sont chinois, 1 coréen et 1 américain). La Chine a intégré dans les quinze dernières années toute la chaine de valeur, de la production du matériau de base, le polysilicium, jusqu’à la réalisation des panneaux solaires. Le polysilicium est produit à partir de Silice, c’est un process industriel très lourd pour obtenir la pureté nécessaire afin de réaliser les cellules solaires. Le secteur est en forte expansion, pour des raisons écologiques évidentes, mais aussi parce que les coûts de production ont été divisé par dix en dix ans.
En Europe, il n’y a plus qu’un grand producteur de polysilicium, situé en Allemagne, qui a des contrats de long terme avec la Chine…Le risque stratégique est donc important pour tout le Continent. Pourtant aujourd’hui, la différence de prix de production avec la Chine est bien plus faible qu’il y a dix ans. C’est un marché où les économies d’échelle sont centrales, il faut donc concevoir des gigafactories pour être compétitif.
Etienne Roche nous présente ensuite le projet Carbon de construction d’une gigafactory française de production de polysilicium, d’une capacité de 5 Gigawatt en 2026 et 20G à horizon 2030, l’entreprise est actuellement présidée par Pierre-Emmanuel Martin, un des membres de Nouvelles Rives. Le projet apporterait 3000 emplois directs dès l’usine de 5 Gigawatt. La réalisation d’un tel investissement s’inscrit dans les projets européens de relocalisations d’industries stratégiques dans le secteur énergétique.