Débat organisé le 16 novembre au TUBA – Espace de coworking
227, cours Lafayette – 69003, Lyon
Entre 2009 et 2020, entre une vaste crise financière et une crise sanitaire, le dynamisme économique de la métropole de Lyon n’a pourtant pas faibli, avec 73000 emplois gagnés sur la période. Mais cette évolution d’ensemble masque une réalité bien plus alarmante, sous l’angle industriel, car la Métropole a perdu dans le même temps 6500 emplois dans ce secteur. Le risque que la désindustrialisation se prolonge, dans notre région, est donc bien réel.
Nouvelles Rives a donc organisé le jeudi 16 novembre un débat sur les enjeux des relocalisations industrielles dans la Métropole lyonnaise. « Relocalisations », cela suppose que des activités ont été transférées ailleurs ou réduites, mais aussi qu’un renouveau industriel est possible. Pour en discuter, on a choisi d’inviter trois représentants de secteurs industriels emblématiques de la région lyonnaise, et particulièrement concernés par cette question, à savoir la pharmacie, le textile et l’énergie solaire. Ils présentent l’avantage de poser la question des relocalisations industrielles dans des termes très différents, et souvent complémentaires, leur confrontation a donc été riche d’enseignements.
Comme l’a indiqué Paul Alan Dollinger, Directeur Général Délégué chez Sanofi Vaccins, l’industrie pharmaceutique a connu une forte pression sur les prix pendant les vingt dernières années, qui a poussé les industriels à investir massivement en Asie. Sanofi a toujours gardé ses deux sites de production de vaccins à Lyon, mais au niveau national la fabrication de médicaments a souffert d’une forte pression sur les prix des autorités publiques pour limiter le coût de la santé, affectant ainsi la compétitivité des industriels en France. Si le secteur pharmaceutique est donc bien concerné par le risque de délocalisation à long terme, ce processus a été bien plus violent encore dans le secteur de l’énergie solaire, comme l’indique Pierre-Emmanuel Martin, Président du groupe Carbon et de Terre et Lac.
En effet, le solaire photovoltaïque s’est développé initialement dans la région lyonnaise, dès les années 1970. La France a alors su répondre aux défis du solaire pour les besoins de l’Aérospatiale et des habitations isolées, et est devenu un leader du secteur. Mais l’Allemagne dans le sillage de la France, s’est aussi positionnée sur ce marché, et a délocalisé sa production en Chine pour diminuer ses coûts de production, et in fine la Chine a récupéré toute la chaîne de valeur jusqu’à la conception. C’est donc la Chine qui a gagné la bataille technologique ces vingt dernières années, celle du solaire photovoltaïque de masse pour alimenter directement les réseaux. Elle est devenue le leader mondial avec une avance technologique difficile à rattraper, alors que la France produisait pourtant en 2002 deux fois plus de cellules solaires que la Chine…
Enfin, dans le textile, la désindustrialisation est plus ancienne, avec le déclin du secteur historique de la soie. En revanche Corinne Farace, directrice déléguée générale du pôle de compétitivité TECHTERA de la filière textile, nous rappelle que le textile ne doit pas être réduit à l’habillement : aujourd’hui la vraie force du textile lyonnais, ce sont les fibres continues nées de l’alliance entre le secteur de la chimie et du textile (fibre de carbone, de verre, etc). Le textile des fibres continues représente ainsi 30% des matériaux du bâtiment par exemple, et les entreprises de la région lyonnaise sont particulièrement concernées par les enjeux de réindustrialisation. Le textile est également très présent dans la filière électronique (ex : isolant pour les smartphones)
Dans les trois secteurs, les intervenants ont donc souligné qu’il y avait des possibilités pour relocaliser des activités industrielles compétitives, mais cela nécessite d’innover, avec des investissements complexes à mener.
Pour produire des vaccins, le groupe Sanofi développe une usine « évolutive » très novatrice à Neuville sur Saône, capable de réaliser plusieurs types de vaccins, en s’adaptant en quelques semaines. C’est un outil unique, qui peut répondre à des enjeux de sécurité nationale, et aussi permettre de rester compétitif en s’adaptant rapidement aux besoins, mais a nécessité le soutien financier du plan Santé de l’Etat, indispensable compte tenu des différences de coûts. Ils ont fait le choix d’investir dans les vaccins ARN en France, malgré la complexité des procédures administratives européennes, 7 fois plus longues que l’équivalent aux USA…
Dans le secteur du solaire, Pierre-Emmanuel présente le projet Carbon, une gigafactory destinée à produire 5 Terawatts de cellules photovoltaïques, soit l’équivalent de la consommation annuelle française. Cette usine est en cours d’implantation dans le Sud de la France, faute d’avoir trouvé le soutien nécessaire dans notre région (foncier, emploi…). Le soutien local est donc un facteur déterminant.
Dans le textile enfin, les industriels dans le secteur des fibres continues ont su rester compétitifs, mais les savoir-faire sont souvent éparpillés dans des PME qui restent fragiles, avec de vrais risques de perte de compétences, et ces activités utilisent une matière première qui n’est pas fabriquée en France dans la plupart des cas, à commencer par le coton, ce qui limite les possibilités de relocalisation.
Les trois secteurs posent dans des termes finalement assez proches la question de la souveraineté industrielle, que la crise de la Covid a particulièrement mise en avant. Comme le rappelle C. Farace la prise de conscience de notre dépendance à des produits devenus stratégiques comme les masques sanitaires a accéléré le débat sur la souveraineté dans le textile, c’est aussi le cas pour la production de vaccins, où l’enjeu est similaire, avec la nécessité de pouvoir produire rapidement de nouveaux vaccins, grâce à un outil rapidement adaptable.
Dans le domaine de l’énergie renouvelable, P-E Martin souligne que l’intervention de l’Etat est normale dans un secteur stratégique, qui produit un bien « tutélaire » dont la production est indispensable à la sécurité collective, mais il est très complexe à l’échelle nationale de faire face aux transformations d’une filière qui doit passer d’une production hyper centralisée (autour du nucléaire), à un réseau plus décentralisé et donc plus complexe à opérer, avec de multiples lieux de production d’énergie solaire, ou encore des automobiles « power-to-grid » capables demain de recharger une habitation plutôt que l’inverse. Il faut que les politiques publiques accompagnent donc les industriels qui doivent innover pour réussir cette transformation des réseaux d’énergie vers des réseaux décentralisés, à l’échelle nationale comme locale.
Enfin, investir dans ces trois industries est aussi déterminant pour mener la transition écologique, dans des activités où les produits viennent souvent de l’autre bout du monde, et sont réalisés dans des conditions environnementales sans commune mesure avec ce que l’on peut développer en Europe.
Côté transports, P.-A. Dollinger explique que le secteur des vaccins sort du « tout aérien » et que le mode privilégié est aujourd’hui le bateau, avec une vraie économie en carbone. Pour la production, SANOFI intègre de plus en plus une « comptabilité verte » à sa démarche, pour anticiper les évolutions européennes. L’impulsion donnée par les politiques publiques reste donc déterminante, mais le bilan carbone et écologique d’une production relocalisée est incontestablement très favorable comparé à son équivalent venant d’Asie.
Dans le secteur textile, C. Farace pointe notamment l’enjeu des déchets textiles, qui devraient faire l’objet d’une filière de traitement en France plutôt que d’être renvoyés dans des pays du Sud. Mais cela ne peut se faire sans un travail étroit entre la filière textile et les autorités publiques. Est-ce que l’on est capable de le mener, à l’échelle de notre territoire ?
Dans l’industrie photovoltaïque, selon P.-E. Martin, la Chine a des usines très modernes, mais le problème du point de vue écologique, ce sont leurs sources d’énergie et la production des matières premières. Relocaliser ces productions en Europe a donc vraiment du sens, d’autant que les panneaux solaires produisent, dans leur cycle de vie complet, à peu près 30 fois l’énergie nécessaire pour les produire. En implantant en France une filière industrielle complète, il y a donc le moyen de concilier souveraineté et écologie à terme.